Préambule
Le métier d’architecte d’entreprise consiste essentiellement à construire une vision globale de l’Entreprise pour faire évoluer au mieux son Système d’Information (SI). Les termes « global », « systémique » et « holistique » sont des synonymes. Il s’agit de considérer l’organisation comme un tout composé d’une multitude de facteurs influents.
Nous cherchons à donner du sens et de la cohérence à cet ensemble en combinant les prismes particuliers des experts. Pour guider notre travail et éclairer notre démarche auprès de nos interlocuteurs, nous avons besoin d’un cadre dont le symbole parfait est le méta-modèle d’Architecture d’Entreprise (AE).
Le méta-modèle peut être résumé à une carte composée de chemins entre des balises diverses. Ces balises représentent les enjeux significatifs à l’échelle de l’entreprise et les chemins expriment les adhérences entre ces enjeux.
La structure du méta-modèle
Cet artefact s’appuie sur une base générique et robuste issue de notre expérience et de notre pratique de la co-construction. Pour l’ossature, nous nous sommes appuyés sur les vues classiques d’urbanisme : Stratégie, Métier, Fonctionnel, Applicatif et Technique.
A ces couches, nous avons ajouté 2 vues complémentaires : l’angle « Organisation » vise à mettre en perspectives les modalités de travail en équipe, tandis que le prisme « Exigences » fait écho à l’Architecture Development Method de TOGAF.
Chaque méta-modèle est adapté à un contexte client spécifique, car la quête de l’universalité se heurte souvent à l’histoire et à l’environnement forcément particuliers de chaque organisation humaine.
Pour autant, le méta-modèle fournit le ciment permettant de souder entre elles les briques des bâtisseurs du SI et propose une grammaire unifiée. De ce fait, en un coup d’œil, il permet de comprendre en quoi un composant fait partie du tout et, par rebond, comment le travail d’une équipe contribue au plan général.
La vue Stratégique
La vue Stratégique constitue le phare sur lequel s’alignent toutes les initiatives. Il est indispensable qu’elle soit formalisée, partagée, accessible et reprise pour légitimer les activités opérationnelles.
Cette vue regroupe plusieurs concepts, dont le tout premier est « Mission de l’entreprise ». Les missions de chaque entreprise correspondent à une combinaison des raisons d’être et valeurs. Idéalement, ces missions s’expriment en 3 à 5 slogans fédérateurs et porteurs de sens.
Les orientations stratégiques sont les lignes directrices dans une perspective de moyen et long termes. Pour construire les vôtres, nous suggérons de vous inspirer du discours du Président John F. Kennedy le 25 Mai 1961 sur le programme Apollo : « …achieving the goal, before this decade is out, of landing a man on the moon and returning him safely to the Earth. ».
Kennedy, avec son sens de la formule aiguisée, intègre tous les ingrédients nécessaires :
- 1 enjeu : poser un homme sur la lune,
- 1 exigence : son retour sain et sauf sur Terre,
- 1 échéance : avant la fin de la décennie,
- Sans présomption de solutions techniques.
Le concept le plus délicat à instancier est « Objectif opérationnel ».
Il est fréquent que les stratèges éprouvent de grandes difficultés à décliner les orientations stratégiques en étapes tactiques concrètes. Avec leur vision globale et distanciée, les architectes d’entreprise sont tout désignés pour aider à formaliser cette transposition.
Le dernier concept de la vue stratégique est « Indicateur » : un concept de grande importance, car nous ne pouvons améliorer que ce que nous mesurons. Nous faisons volontairement apparaitre « Indicateur » dans une seule vue, alors qu’il pourrait être décliné partout. Vous êtes chacun sur votre périmètre responsable de démontrer un apport de valeur, démonstration que l’exposition de métriques facilite. Le message dans le méta-modèle d’AE est que tous les mécanismes d’évaluation de la performance concourent à l’agrégation d’indicateurs stratégiques, à la façon d’un Balanced Scorecard.
La vue Métier
Cette vue se concentre sur ce qui apporte de la valeur métier aux clients et aux utilisateurs.
Le grand intérêt de découpler « pourquoi », « quoi » et « comment » est de ne pas prendre des raccourcis fautifs avec, par exemple, un regard d’ingénieur vers une réponse technique qui ne correspondrait pas aux attentes. Or, le fort taux d’échec des projets informatiques est en partie dû aux mauvaises interprétations du besoin.
D’autre part, il est très intéressant de savoir exprimer le métier sans adhérence forte avec l’informatique, afin de maîtriser les impacts d’une évolution d’un côté ou de l’autre. Par exemple, l’adoption d’une nouvelle technologie ne doit mener à reconsidérer le métier que si elle permet une rupture bénéfique dans le service offert. En revanche, si elle ne porte que sur la maîtrise des coûts et de la maintenabilité, alors la description du métier n’est pas concernée.
En conséquence, la vue métier ne doit en aucune façon présumer des solutions informatiques ou organisationnelles à apporter pour répondre au besoin.
Elle est directement connectée au « Pourquoi » exprimé par la vue stratégique, grâce au lien entre « Objectif opérationnel » et « Besoin métier ».
Ce fragment de méta-modèle est notre guide lors des études d’opportunité et des ateliers d’analyse du besoin avec les représentants des directions métier. Sitôt que nous détectons une dérive vers l’outillage, nous recadrons les échanges vers l’essence du métier.
Nous organisons l’expression des enjeux métier à partir des besoins mis en perspective des chaînes de valeur (ou processus) et des objets métier. Dans un article précédent, nous avons expliqué en quoi les Objets Métier sont le centre de gravité de la transformation. Leur cycle de vie est porté par l’identification des « états » possibles.
Le concept de « Rôle » est une abstraction très utile pour exprimer « qui fait quoi » sans présumer de l’organisation humaine (« Acteur » ou « Poste »).
Les concepts « Produit » et « Récit utilisateur » sont directement inspirés des démarches agiles pour l’usine logicielle.
« Règle métier » doit être isolée pour « agiliser » le SI et éviter de noyer l’intelligence embarquée dans le code informatique.
La vue Fonctionnelle
La vue fonctionnelle constitue la zone de dialogue entre métiers et informaticiens. Elle est le lieu où enfin ces deux populations, aux langages si différents, peuvent se comprendre.
En effet, la vue métier est portée par les équipes des directions métier, en général peu technophiles, alors que la vue applicative est portée par des informaticiens plongés dans l’ingénierie. Les discussions entre ces populations tournent souvent au dialogue de sourds. L’abstraction fonctionnelle permet de simplifier les indispensables échanges et de trouver un accord sur ce qui doit être réalisé au sein du SI.
Nous avons retenu ici peu de concepts. Cependant le concept « Fonctionnalité » est essentiel, car il est le fil d’Ariane dans la fabrication de logiciels.
Les équipes de développement organisent leur quotidien selon les « backlogs » de fonctionnalités à implémenter.
De leur côté, les utilisateurs vérifient si les fonctionnalités mises à disposition répondent aux besoins. Ils ne valident pas des briques applicatives, dont ils n’ont pas à comprendre la structure.
Nous considérons donc la vue fonctionnelle comme le médiateur C-3PO de la saga Star Wars qui par ses traductions donne la possibilité d’une compréhension mutuelle.
La vue Applicative
Elle est le terrain de jeu privilégié des informaticiens, en charge de construire ou faire évoluer les solutions répondant aux besoins métier.
Nous constatons que le prisme privilégié des organisations que nous accompagnons est la vision applicative, au détriment de la vision métier. Il est donc très intéressant de contrebalancer cette tendance en identifiant les concepts essentiels de ce côté et en les articulant de façon très éclairante avec ceux de la vue métier en passant par la vue fonctionnelle.
Ce rééquilibrage indispensable permet de régénérer les synergies efficaces entre les différents acteurs de la transformation, chacun endossant ainsi son rôle avec force et pertinence en pleine conscience de ceux des autres intervenants.
Pour cette vue, nous avons retenu seulement 4 concepts. « Solution » est, en démarche agile, la déclinaison de « Produit », en intégrant les choix et contraintes d’architecture applicative. La philosophie adoptée ici est l’intégration continue. « Composant applicatif » fait écho à l’idée de brique Lego réutilisable. « Donnée » est la représentation dans le SI de « Objet métier » à un grain qui peut être plus fin. « Flux » est indispensable pour maîtriser les échanges inter-applicatifs et par conséquent les interfaces idéalement normalisées.
La vue Technique
La quatrième vue emblématique de l’urbanisation du SI est Technique. Parfois, nous entendons parler de vue d’infrastructure, vocable qui lève une ambiguïté possible avec vue applicative.
Pour optimiser les coûts d’infrastructure, de nombreuses organisations externalisent ou confient à des équipes spécialisées l’exploitation des socles techniques. Cela justifie la présence d’une vue dédiée dans le méta-modèle. Nous sommes ainsi conduits vertueusement à clarifier les interfaces et contrats de service entre composants applicatifs et composants techniques.
Ainsi, les équipes exploitant l’infrastructure chiffrent et dimensionnent plus facilement les systèmes qui accueillent les nouvelles solutions applicatives. Elles garantissent aussi plus sereinement la performance et la scalabilité de ces mêmes systèmes.
Il est à noter que la virtualisation rend la frontière entre composants physiques et logiciels de plus en plus poreuse. Le périmètre technique, avec les plateformes de conteneurisation (par exemple Docker), est de plus en plus délicat à délimiter. Cette porosité rend les travaux d’architecture beaucoup plus complexes avec un effet démultiplié sur la combinatoire des scénarios à envisager.
La vue Organisationnelle
La dernière vue de notre méta-modèle est Organisationnelle.
Il s’agit de découpler la vision métier et les choix conjoncturels quant à l’organisation managériale et l’organisation des équipes. Le concept « Rôle » est décliné en « Acteur » (ou son synonyme « Poste ») avec des scissions ou fusions possibles de prérogatives selon les contraintes de disponibilité, de compétences, de localisation et d’historique (hé oui !).
« Unité organisationnelle » et « Compétence » complètent la compréhension de l’organisation.
Nous avons pris la décision de positionner « Mode opératoire » (équivalent à « Procédure ») dans la vue Organisationnelle, car cet outil guide un acteur ou une équipe sur l’enchaînement de gestes sans expliquer les enjeux métier et de coopération.
Enfin, nous adoptons les principes fondateurs du modèle proposé par Spotify avec les notions de « Tribu », « Chapitre » et « Equipe » (squad).
Cas particulier des exigences
Nous usons d’un artifice visuel pour positionner au centre du méta-modèle les exigences de toutes natures. Cela évite de répéter la même notion dans chacune des 6 autres vues. Le référentiel des exigences se doit de les distinguer selon leur type : métier, réglementaire, de sécurité, fonctionnelle, technique, organisationnelle, etc.
Comment utiliser la carte pour arriver à bon port ?
Comme toute carte, le point de départ dépend du contexte, des priorités et de la maturité de l’organisation.
Pour les raisons que nous avons développées dans notre article « Parcours pour architecte d’entreprise pressé », notre point de départ préféré prend sa source à « Objet métier » selon une approche descendante.
Idéalement, nous combinons cette approche avec l’approche montante, de façon à aligner le SI sur la stratégie en couvrant tous les aspects de l’existant.
Dans la pratique, pour les raisons évoquées dans notre constat, lors d’un précédent article, nous sommes souvent contraints de mener une simple analyse montante et de consolider la cohérence au mieux des possibilités.
En synthèse
Notre carte routière est le fidèle compagnon de l’architecte d’entreprise. Ce viatique lui permet de guider et justifier de chacune de ses actions. De surcroit, elle permet à tous les acteurs de la transformation d’assumer leur rôle en pleine conscience de leur implication dans l’entreprise. Nous ne saurions accompagner une transformation sans l’avoir en tête. Nous constatons qu’elle interpelle ceux à qui nous la présentons. Cet artefact est une manière de matérialiser la raison d’être des architectes d’entreprise : « Fédérer autour d’actions porteuses de sens ».
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