Préambule
La crise du Covid-19 bouleverse radicalement nos habitudes et jusqu’à notre façon d’envisager le monde. Elle nous coûte cher physiologiquement, psychologiquement, socialement et économiquement.
Elle est cependant l’occasion de repenser notre situation, nos rapports aux autres et à notre planète, de voir au-delà des dégâts immédiats et d’en tirer bénéfice.
Nous sommes prisonniers depuis plusieurs décennies d’un système pernicieux qui mène à l’extinction des ressources et des espèces. Il manquait un déclencheur suffisamment puissant pour nous amener à évoluer.
Il est vraisemblable que nous ne retrouverons pas notre mode de fonctionnement « d’avant la crise ». Ce que nous inventons en ce moment, en famille, en entreprise, en région, dans le pays, sur la Terre, a de fortes chances de se standardiser.
Des métiers vont disparaitre. D’autres vont naitre. Des puissants vont s’effondrer. De nouveaux tyrans vont tenter leur chance. Nous affrontons une crise qui ouvre une période d’incertitude profonde. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une crise, mais de plusieurs crises en cascade provoquées par la crise sanitaire initiale.
De nouvelles façons d’être et de faire sont à imaginer, non pas en faisant table rase, mais en revisitant d’anciennes pratiques et en usant de notre intelligence collective.
La nécessité de cohésion
Avec la disparité des situations personnelles en cette période, le tissu social se distend davantage jusqu’à un point de rupture détectable par des signaux forts : découragement profond, incivilité et violence, rébellion à l’autorité, égoïsme radical, théories du complot, etc.
La situation de crise exacerbe les pulsions individuelles et obscurcit la vision du bien collectif et de l’avenir. Nous sommes pris chacun dans un étau de contraintes. Cela nous pousse à réagir dans l’instant selon nos besoins vitaux et nos émotions au détriment de l’analyse raisonnée.
On évoque souvent le vernis social qui craquelle vite sous le coup du stress pour faire place à une violence sans filtre. Les dangers sanitaires et financiers fragilisent notre capacité à œuvrer communautairement. À l’inverse, ils favorisent nos biais cognitifs, qui nous font prendre de mauvaises décisions avec l’illusion de la sapience.
Le risque est que nos actions soient alors guidées par l’instinct plutôt que par la réflexion. Cela est une modalité animale interdisant l’idée même de construction. Bâtir, c’est évaluer, comparer, imaginer, concevoir, négocier, renoncer, organiser puis faire.
La plupart du temps, il s’agit d’une coopération articulant des compétences complémentaires. Le collectif est capable de réaliser des œuvres dépassant les individualités. Ses décisions, grâce à l’extension de la perception, à la discussion, à la prise en compte de points de vue multiples, sont meilleures que celles prises par quelques-uns.
La puissance du collectif était vraie avant la crise sanitaire et était déjà très compliquée à activer en raison des freins individuels.
Or, si nous voulons résister aux impacts du Covid-19, il est indispensable de nous coordonner. Les individus isolés paieront le plus lourd tribut. La cohésion et la confiance sont les qualités indispensables à la sortie de crise. L’effondrement de la collectivité entrainera par effet domino celui des individus. Nous sommes des êtres sociaux, très peu capables de survivre isolément.
Les défis pour l’entreprise
Resserrons notre sujet sur l’entreprise et mettons de côté les problématiques des états.
Nous voyons le système d’information (SI) comme l’ossature de l’organisme collectif et les équipes comme sa musculature et son système nerveux.
Les contraintes extérieures pèsent d’une façon spectaculaire et inédite sur les entreprises. L’absolue nécessité de transformation est une évidence et ne peut pas être ressentie comme un simple slogan marketing. Depuis le confinement, les projets d’entreprises se sont drastiquement recentrés sur l’essentiel. Les énergies sont mobilisées en plans d’urgence sur les sujets vitaux. Ce mode héroïque est ponctuel. Il devra laisser place à un mode pérenne dont la nature est encore inconnue.
Les 3 défis simultanés pour l’entreprise sont :
- De survivre à la période de confinement et de déconfinement ;
- De mettre en place un fonctionnement pérenne tenant compte des nouveaux enjeux de logistique locale, de résilience et de décentralisation ;
- D’anticiper l’organisation interne face à la récurrence probable des pandémies (en raison de la fonte du permafrost et de l’atteinte des forêts primaires).
Le rôle de l’architecture d’entreprise
Nous en revenons à la nécessité d’harmoniser les perspectives Opérationnelle, Stratégique et Tactique sur différents horizons de temps.
Le rôle de l’Architecture d’Entreprise (AE) est exactement d’animer la constitution de cette vision globale pour bâtir le SI de l’entreprise. L’AE contribue également à la réponse organisationnelle ad hoc. En effet, le SI n’est pas une mécanique en vase clos, il est destiné à des utilisateurs. L’organisation humaine et la configuration de l’outil s’influencent réciproquement.
Les architectes d’entreprise ne sont pas des arbitres faisant les choix. Ils sont en revanche des experts pour l’identification, la synthèse et la formalisation des tensions multifactorielles, des enjeux, des contraintes, des besoins et des solutions.
L’architecture en entreprise, tout comme en bâtiment, n’est pas une pratique dont nous pouvons faire l’économie. Elle est en continu pour garantir la cohérence et l’évolution au fil du temps. Elle inscrit l’ADN de l’entité abstraite qu’est l’entreprise, composée de personnes très concrètes, NOUS. Sans cet ADN, l’entreprise est instable et fragile.
Les zooms spécifiques à la gestion de crise
Plusieurs sujets sensibles sont importants à intégrer ou à revisiter dans la démarche d’AE, pour :
- Permettre les échanges à distance,
- Prendre en compte la sécurité sanitaire dans le modèle économique,
- Assurer la pérennité de fonctionnement,
- Favoriser la pertinence des décisions,
- Favoriser la réactivité.
Les outils collaboratifs
Un premier effet du confinement est la nécessité de nous outiller pour mener des ateliers collaboratifs à distance. En effet, pour compenser le manque de proximité tout en impliquant chaque contributeur à la co-construction et en entretenant le lien social, les tableaux virtuels sont très bienvenus (Miro, Beekast, iObeya, Mural, Klaxoon…).
Ils permettent de recueillir les idées sous forme de post-its. En particulier, nous travaillons en groupe sur la représentation des objets métier et de leurs connexions.
La sécurité sanitaire
La sécurité des personnes fait apparaître de nouveaux besoins, de nouvelles contraintes et exigences. La modification des comportements avec les gestes barrière requiert de la pédagogie. La distanciation pèse sur l’espace à disposition et les délais pour réaliser les tâches. Des équipements nombreux sont nécessaires, avec des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement.
Cela impacte le modèle économique. La rentabilité peut être compromise par l’accroissement des coûts de production des biens et des services et la réduction du chiffre d’affaires du fait de la distanciation (par exemple pour la restauration et l’hôtellerie) ou de l’impossibilité d’opérer (par exemple pour le transport aérien).
Pour que les entreprises petites ou grandes résistent au changement de paradigme, elles doivent ajuster les orientations stratégiques, les processus métier (en particulier de logistique et de relation clients), les outils et équipements (dont le système d’information) dans une réflexion globale.
La résilience
La résistance de l’entreprise face aux aléas s’organise au travers d’une panoplie de démarches dont voici une liste choisie dans un ordre de complexité croissante :
- La gestion des risques ;
- Les modes dégradés de fonctionnement ;
- Les plans de continuité de service ;
- La résilience des services applicatifs avec par exemple le déploiement de micro-services.
Les modalités de gouvernance distribuée
En lien avec la résilience, les chaînes de décision doivent être adaptées selon des circuits courts.
La France et ses entreprises ont une culture de centralisation du pouvoir. Or, il est urgent d’apprendre à distribuer les organes de décision pour résister à des isolements forcés et pour activer l’intelligence locale.
Pour cela, nous devons imaginer de nouveaux mécanismes et facteurs d’arbitrage.
L’autonomie des équipes agiles
Tout comme pour la gouvernance, le modèle organisationnel historique repose sur une séparation franche entre la décision et la production. Or, cette dichotomie provoque des inerties dommageables en temps normal et fatales en temps de crise.
La centralisation de la décision est un aveu de méfiance vis-à-vis des équipes opérationnelles. L’AE contribue à la transparence et à la confiance mutuelle. Les principes d’agilité donnent aux équipes une plus grande autonomie sur le « comment faire les choses » mais aussi sur le « quoi faire ».
Cette autonomie est cruciale pour renforcer les capacités de résilience de l’entreprise. Agilité et AE sont alliées dans l’accompagnement de la transformation.
En synthèse
L’Architecture d’Entreprise est, en situation de pandémie, une démarche précieuse pour motiver les choix difficiles. Il s’agit encore moins qu’avant de foncer tête baissée.
Au contraire, éclairons le futur d’une vision systémique salvatrice. Redonnons confiance aux équipes avec ce qui est le meilleur outil pour réconcilier les points de vue multiples.
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