Préambule
Notre sujet est traité en 3 volets. Cet article est le second.
- Volet 1 : le constat,
- Volet 2 : les nouveaux enjeux,
- Volet 3 : la boite à outils de l’architecte d’entreprise.
Dans le premier volet, nous avons cerné les concepts d’Architecture d’Entreprise (AE) et d’Agilité et nous avons identifié plusieurs écueils qui compromettent de trop nombreux projets de transformation du Système d’Information (SI).
Les entreprises opèrent des expérimentations, en s’inspirant des démarches à la mode. Les équipes sont formées à l’agilité. Des principes sont posés. Les instances de décisions sont aménagées. Bref, le monde du travail est en effervescence avec beaucoup d’interrogations chez les collaborateurs.
Revisitons les enjeux de l’Architecture d’Entreprise
Avant de vous présenter la boite à outils de l’architecte d’entreprise dans le troisième volet, nous devons préciser les enjeux qui nous animent au-delà de la définition proposée dans le premier volet de cet article.
Nous pouvons représenter ces enjeux selon quatre grands axes :
- La vision,
- La valeur métier,
- L’organisation,
- Et la transformation.
1. La vision
La vision est la boussole pour définir et conserver le cap.
Dans la communauté des architectes, les architectes d’entreprise étendent leur regard sur l’ensemble de l’écosystème, quand les architectes fonctionnels, solutions et techniques se concentrent sur un domaine particulier.
Les architectes d’entreprise sont donc plus des géographes arpentant un territoire étendu, que des géologues forant profond.
Le maillage des métiers complémentaires est essentiel pour travailler la matière d’architecture en largeur, en profondeur et en cohérence.
1.1. L’alignement stratégique
L’Agilité envisage le futur essentiellement par le prisme des récits utilisateurs en rupture des habitudes et par l’emploi de nouvelles technologies. C’est insuffisant pour décliner la vision stratégique. L’AE, quant à elle, permet de traduire les orientations stratégiques en guides tactiques dédiés à tous les chantiers. Elle amène les équipes à considérer leurs actions et leurs choix au-delà de l’immédiateté. Elle favorise l’application du principe de Pareto (20% des causes produisent 80% des effets), pour focaliser l’énergie sur la génération de valeur, en alignement avec la stratégie de l’entreprise.
1.2. L’éclairage du futur
Éclairer le futur nécessite une capacité à observer les choses sur plusieurs horizons de temps et plusieurs angles. En photographie, les optiques ne permettent pas de simultanément faire de la macro, du panoramique et du téléobjectif. Il en va de même en architecture, où il faut travailler en alternance les différentes focales.
Le plus délicat pour les architectes d’entreprise est de sanctuariser du temps pour regarder au-delà de l’urgence opérationnelle. La résistance à la pression court-termiste exercée de toute part est vitale.
1.3. L’adéquation entre ressources et objectifs
Dans la continuité des points précédents, l’AE contribue à définir la feuille de route globale et donc les allocations des ressources à moyen terme. Le Project Management Office et le gestionnaire du planning capacitaire bénéficient là de la vision systémique.
L’AE facilite le pilotage des ressources engagées après validation des feuilles de route.
En accompagnant les équipes opérationnelles sur les chantiers menés en parallèle, les architectes d’entreprise évaluent les écarts et les convergences, répertorient les impasses et les opportunités. Ils permettent ainsi une réévaluation régulière des priorités, avec le cas échéant des ajustements de ressources.
2. La valeur Métier
Le métier unifie les parties prenantes de l’entreprise, dont les bâtisseurs du SI.
2.1.Le Time To Market
Le sujet emblématique du métier est le Time To Market (TTM). La célérité de mise sur le marché des produits/services est un enjeu majeur, qui pèse mécaniquement sur l’usine logicielle en charge des évolutions du Système d’Information. Elle implique le regard systémique de l’architecture d’entreprise. En particulier, la conformité réglementaire induit des exigences fortes.
Pour favoriser l’accélération du TTM, les architectes d’entreprise entretiennent une grande proximité avec les référents métier, les product owners des organisations agiles et les architectes fonctionnels qui traduisent les besoins métier en paquets déployables sous forme de briques applicatives.
2.2. La maîtrise du patrimoine
Le patrimoine métier est l’essence même de l’entreprise. Il se compose de règles métier, de données (de référence et transactionnelles), d’usines à transformer (les applications) et d’infrastructures.
La gouvernance est un premier point. Il est primordial de définir les propriétaires des données et de leur cycle de vie. Cela détermine le découpage fonctionnel optimal.
Ensuite, la maîtrise du patrimoine passe par sa cartographie pour recenser et localiser les ressources, mener des analyses de causalité et d’impact. Le référentiel descriptif se réalise sur les 4 vues de l’urbanisation du SI : métier, fonctionnelle, applicative et technique. Un méta-modèle bien pensé et une modélisation au juste détail avec les chaînages adaptés forment l’outil principal des architectes pour faire évoluer le SI.
Deux limites modèrent l’ambition des cartographes : l’effort de maintenance consenti pour actualiser le référentiel et le chevauchement avec la gestion de configuration menée par ailleurs.
L’architecte d’entreprise est un contributeur phare de la construction du cadre de modélisation.
2.3. La valorisation des données
La valorisation des données est un Graal que la technologie rend accessible.
Les architectes d’entreprise œuvrent avec les chief data officers (ou leurs équivalents), les équipes spécialisées dans la donnée (data scientists, data analysts…) et les architectes techniques qui outillent le traitement de la donnée.
Les possibilités offertes par les nouvelles technologies (big data, data lake, deep learning, intelligence artificielle, Elasticsearch…) sont des opportunités d’innovations métier phénoménales.
3. L’organisation
L’organisation est la modalité conjoncturelle de coopération, retenue pour servir au mieux le métier.
3.1. L’agilité
La cellule d’architecture en tour d’ivoire discrédite sa production par sa mauvaise posture. L’AE doit reconsidérer son organisation pour l’agiliser et gagner en pertinence.
Les modalités agiles ont pour paradigme de faire descendre le plus possible le pouvoir de décision au niveau opérationnel, avec des dispositifs transverses de synergie (par exemple les chapitres et les guildes du modèle Spotify).
Il s’agit pour les architectes d’entreprise de démontrer une capacité à jouer simultanément sur les niveaux stratégique, tactique et opérationnel.
Il est essentiel que l’AE soit considérée par les équipes sur le terrain non pas comme une police des dogmes, mais comme un facilitateur et un promoteur de leurs convictions auprès des directions.
L’AE est vigilante au respect des orientations stratégiques tout en mettant en exergue les leviers de liberté offerts aux opérations.
Les architectes d’entreprise ont donc à réinventer leur organisation pour être à la fois :
- Adoptés au cœur des équipes opérationnelles,
- Promoteurs de la démarche systémique dans la communauté des architectes,
- Au plus près des sources de décisions stratégiques pour agir tôt.
3.2. La comitologie
L’AE est donc impliquée à tous les niveaux de décisions et d’action, du cadrage jusqu’aux opérations. En conséquence, les architectes d’entreprise doivent être informés pour synthétiser et distiller la cohérence. Ils doivent cependant se prémunir de la réunionite aigüe.
Optimiser la comitologie est un véritable levier de performance. La composition, l’ordre du jour, la fréquence et la durée de chaque instance découlent des enjeux que cette dernière porte.
Le comité est un mode organisationnel dédié au cas du rôle d’approbation (au sens du RACI), sur un enjeu, porté par plusieurs personnes physiques. Sa raison d’être est d’exprimer un arbitrage d’une seule voix. Un comité terminé sans décision ni plan d’action est stérile.
Les relais d’information et de réactions sont mis en place pour compenser l’impossibilité de convier tous les acteurs à chaque instance.
Une décision prise dans le champ d’action de l’AE sans concertation avec ses représentants induit un risque d’incohérence, de redondance fonctionnelle, de défaut de gouvernance ou de dette technique.
3.3. La plateforme de communication
Produire du contenu ne suffit pas. Il faut également le diffuser avec une communication claire et attractive, utilisant des médias adaptés. Deux axes sont envisagés.
Le premier axe est l’harmonisation du contenu et de la forme du matériel d’architecture. Si architectes d’entreprise, fonctionnels, solutions et techniques se contredisent, alors la matière d’architecture sera globalement indigeste et rejetée par les opérations et les directions. Il est essentiel que cette communauté parle d’une voix harmonieuse afin de convaincre.
Le second axe est l’exposition du contenu cohérent auprès du reste du monde et principalement des équipes, du management et des directions. Les équipes ont besoin d’accélérateurs pour produire. Les manageurs ont besoin d’éléments factuels de pilotage. Les directions ont besoin de critères de décision pour l’engagement des budgets.
4. La transformation
La transformation est le chantier d’amélioration continue qui permet à l’entreprise de s’adapter à son écosystème mouvant.
4.1. La maîtrise de la complexité et de la cohérence
Nous constatons dans cet article, avec la variété des enjeux, que transformer le système d’information est complexe. Nous ne pouvons pas ignorer cette complexité. Elle se résout en découpant un problème massif en sous-problèmes jusqu’à un grain maîtrisable par une équipe.
Le résultat de cette division est la coexistence d’un nombre potentiellement très grand de chantiers. Le corollaire est la nécessité de mise en cohérence des travaux. L’AE active cette synergie à l’échelle de l’entreprise par la gouvernance des modèles d’architecture ad hoc et par la maîtrise de la couverture fonctionnelle.
L’AE doit, en outre, organiser la transformation pour garantir la continuité de service. Cela rend souvent nécessaires des étapes transitoires quand la cible architecturale ne peut pas être atteinte en un bond. Si le plan de transition génère de la dette technique par le déploiement de composants non pérennes, alors il doit prévoir leur décommissionnement.
4.2. L’interopérabilité
Un changement dans les partenariats, une rupture technologique ou des fusions/acquisitions sont des facteurs impactant fortement l’organisation. La réflexion menée par l’AE sur l’interopérabilité entre les briques applicatives du système d’information est incontournable. La façon dont le SI outille le métier peut être fondamentalement revue à la suite de tels impacts.
Le choix d’une nouvelle technologie peut conduire à des migrations techniques.
L’acquisition d’une branche métier implique de considérer la mutualisation des ressources.
La mise en place ou l’arrêt de partenariats posent la question d’externaliser ou d’internaliser certaines activités et les outils correspondants.
4.3. La maîtrise des risques
Évaluer les vulnérabilités, recenser les risques, les contourner ou les accepter et envisager des contre-mesures forme une pratique qui n’est pas l’apanage de l’AE. Cependant, l’ implication de l’AE sur tous les travaux de transformation en fait un excellent contributeur. Il serait dommage de se priver d’un des rares acteurs à cultiver une vision holistique.
4.4. Le pilotage des évolutions IT
L’AE rend possible un pilotage global par la superposition des feuilles de route à un grain suffisamment gros pour être intelligible au regard des objectifs communs. Les architectes d’entreprise définissent ce grain pour répondre à deux contraintes opposées. Le grain doit respecter la matière des architectes fonctionnels, solutions et techniques. Et il doit permettre les arbitrages stratégiques en combinant les aspects budgétaires, métiers, organisationnels et techniques.
Ce Balanced Scorecard d’Architecture d’Entreprise constitue une superbe vision systémique !
En résumé
Nombreux sont les nouveaux enjeux de l’Architecture d’Entreprise, dans un contexte où elle doit composer avec de nouvelles formes d’organisations agiles. Nous en avons listé une douzaine organisée en 4 groupes. Nous verrons, dans le volet final de cette trilogie, la boite à outils de l’architecte d’entreprise pour convaincre que sa place n’est pas usurpée, mais bien fondamentale.
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