Fog of War & Consulting

par | 3 Fév 2121 | Article, Consulting

Préambule

Le brouillard de guerre désigne l’absence ou le flou des informations à disposition des soldats lors d’opérations militaires. Le terme est repris dans les jeux vidéo de stratégie en temps réel : le joueur dispose d’unités isolées sur une carte seulement lisible au début à l’emplacement du village ; il est alors nécessaire de lancer les personnages en exploration pour découvrir la topographie et les autres peuplades environnantes.

Image du jeu « Total War Shogun II » édité par Creative Assembly et Sega

Il est intéressant de constater que les missions de conseil en transformation des systèmes d’information sont également soumises au « Fog of War » : de fait, notre horizon est bouché par l’incertitude et le manque de données. Seule la zone proche est suffisamment claire pour avancer pas à pas. Surtout ne pas courir, au risque de trébucher.

Poser des hypothèses

Une compréhension claire et détaillée de la situation, des objectifs et des besoins est nécessaire pour réaliser une feuille de route et lancer des travaux.

Étapes incontournables d’une étude

Ne pas disposer de ces prérequis est une situation assez fréquente pour des raisons variées :

  • Le flou des orientations stratégiques ;
  • L’absence d’un référentiel d’entreprise ;
  • L’indisponibilité des sachants métier et IT ;
  • Des contradictions dans les exigences ;
  • Etc.

Ce que l’on nous demande souvent en revanche, c’est de faire vite, bien et pas cher !

Schéma du projet rêvé

Nous résistons à cette injonction pour faire entendre raison au commanditaire et éviter d’aller collectivement dans le mur.

En fin de compte, sans prescience, avancer permet de repousser la brume et éclaircit l’horizon. En bons tacticiens, nous sommes amenés à poser des hypothèses, qui combleront les lacunes dans notre appréciation de l’écosystème.

Nos scénarios s’appuieront sur ces suppositions. Si des décisions ou des constats ultérieurs les contredisent, alors ils devront être ajustés. Les hypothèses peuvent porter sur la volumétrie (nombre de participants, de processus concernés, d’applications dans le périmètre, etc.), sur des principes à dire d’experts, sur un nombre d’itérations dans la co-construction, etc…

La philosophie sous-jacente est de préférer prendre des décisions, se tromper et corriger plutôt que de se figer. Le vivant évolue depuis les origines en affinant des stratégies de survie. Le critère déterminant qui permet à des espèces de durer est l’adaptabilité. Prendre trop de temps pour agir est souvent mortel. En conséquence, nous devons adopter un comportement malléable au gré des aléas.

Garder le cap

Nous oublions facilement le « pourquoi des choses », tant nous sommes concentrés sur le « comment faire ». La bonne pratique toute simple est de nous questionner sur la contribution aux objectifs d’une action envisagée. Pour cela, nous devons garder en tête les enjeux.

Si le cap n’est pas exprimé par les commanditaires et les sponsors, alors, à l’instar d’un enfant, nous insistons avec la question « Pourquoi ? », répétée tant que nous ne comprenons pas les enjeux. C’est là la méthode des 5 « pourquoi ». De fait, si nous acquiesçons « Oui oui ! » pour ne pas paraître idiots alors que nous n’avons pas intégré le contexte, nous serons très vite dans la situation pénible de devoir justifier nos actions stériles (ou pire notre inaction).

Donc l’impératif primordial est de disposer d’une liste d’objectifs écrits, cohérents entre eux et formant un contrat de confiance auquel nous adosser. Nous pouvons bien sûr contribuer à l’expression des objectifs. Les imprécisions inévitables sont énoncées en complément de façon à en garder trace et à les résoudre au fur et à mesure.

Mise en cohérence des notions complémentaires

Accepter le flou

Le flou est un facteur de stress. Rares sont ceux que le doute épanouit. La pandémie de la COVID-19 a surpris le monde entier et nous a contraints à des modifications drastiques de nos habitudes et même de notre façon d’envisager la vie. Depuis mars 2020 en France, nous vivons quasiment au jour le jour. Nous apprenons donc, contraints et forcés à supporter l’inconnu qui réduit notre champ d’action.

La certitude est une croyance rassurante, mais souvent mauvaise conseillère. Nous devons composer avec le brouillard et ne pas croire aux mirages de nos idées préconçues. Pour cela, nous posons des jalons plus serrés : les réunions de concertation et de validation sont rapprochées. Nous renforçons les relations avec les autres, pour travailler en confiance : les discussions informelles même à distance entretiennent le tissu social. Nous sommes plus précis dans nos attentes respectives et nous ne présumons pas en extrapolant des non-dits. Nous questionnons nos coéquipiers pour nous assurer d’une même compréhension et pour vérifier leur état d’esprit. Un peu comme un malvoyant, nous développons nos capacités cognitives selon toutes les modalités possibles.

Nous apprenons à travailler avec frugalité, sans exiger un cadre exhaustif idéalisé et utopique. Un tel cadre serait d’ailleurs rigide et empêcherait toute adaptation à un contexte forcément changeant.

Les effets secondaires ne sont pas anodins. L’anxiété peut s’aggraver en dépression. Le doute excessif ou les injonctions contradictoires pouvant mener à des troubles psychologiques.

Il est donc important de prendre soin de nous physiquement et mentalement à travers notre hygiène de vie pour endurer et accepter le flou. De même, nous devons être bienveillants les uns envers les autres, tout en nous gardant des irréductibles (heureusement minoritaires) trolls malfaisants. Contre ces derniers, nous préférons les ignorer et nous concentrer sur les personnes positives. Il est vain de vouloir changer les nuisibles, qui risquent plus de vampiriser notre énergie et d’altérer notre propre équilibre que de corriger leur comportement. Dans les situations les plus difficiles, n’hésitons pas à solliciter une aide dans la lignée hiérarchique du troll pour le neutraliser.

Ainsi, nous renforçons notre faculté à exercer un regard critique et à manœuvrer dans le flou ambiant.

Apporter de la valeur immédiate

Si la visibilité de l’horizon est réduite, il est indispensable que nos actions apportent une valeur immédiate. Comment pourrions-nous justifier des gains lointains dans un tel contexte ?

Cela nous conduit à activer encore et toujours le principe de Pareto, selon lequel nous nous focalisons sur les 20% d’actions (de cause) qui produisent 80% des résultats (d’effet).

Ici encore, la perception de la contribution aux objectifs est le guide pour prioriser les actions à mener. Prioriser veut dire aussi capacité à renoncer, attitude peu naturelle que nous cultivons. Nous ne pouvons pas nous permettre de remettre l’ouvrage cent fois sur le métier. La célérité prend le pas sur la perfection, qui tardive n’est pas souhaitable. Nous faisons nôtre la démarche agile qui délivre des incréments de valeur au fil de l’eau.

Dans l’exercice de l’architecture d’entreprise, la concentration sur la valeur immédiate se travaille avec la démarche Objets Métier.

S’engager à bon escient

La tension est renforcée lorsque nous nous engageons auprès de notre commanditaire sur des résultats et non sur des moyens.

L’activité de conseil s’exprime idéalement en engagement de résultat. Cela requiert une expression de besoins détaillée sur les enjeux, les objectifs et le périmètre. Nous avons vu que nous répondons au flou par des hypothèses de travail.

Cependant, quand ces dernières sont nombreuses, la combinatoire devient intenable, induisant trop de scénarios. Il est, dans ce cas de figure, raisonnable d’opérer par engagement de moyens au travers d’enveloppes de jours d’accompagnement.

Le concept de livrables est un grand classique dans la façon de formaliser les attendus. Pourtant, si le flou est pesant, il est dangereux de dogmatiser a priori la forme de la production, qui peut ne plus convenir quand s’affine la maîtrise des sujets.

Il est ainsi bénéfique de permettre de la souplesse quant à la forme des livrables, pour garantir leur pertinence dans le temps. Il nous arrive d’expérimenter certains types de représentations et de les maintenir ou de les remplacer selon l’adhésion de nos interlocuteurs.

Ma conviction est de fédérer autour d’actions porteuses de sens. L’exemple typique de sens révélé à l’occasion d’un atelier est la co-construction du modèle d’objets métier, qui renforce le vocabulaire commun et expose avec une grande clarté la relation entre les termes. À chaque exercice de ce genre, les yeux des participants pétillent.

Nous mesurons donc le succès de nos missions à l’aune de l’enthousiasme et de l’adhésion des équipes accompagnées.

Cette mesure s’exprime avec une enquête de satisfaction, un témoignage écrit ou une note de retour d’expérience partagée, éléments qui peuvent être associés et dont la construction est rapide.

Remplacer le concept de livrable par un indicateur de mesure de candela (intensité lumineuse) est une idée séduisante à expérimenter. L’idée sous-jacente est d’établir une échelle sur un nombre pair de degrés (pour éviter la valeur neutre) allant de l’obscurité à la lumière. La notation d’une action est demandée auprès de chaque partie prenante pour en déduire une moyenne sur la pertinence de cette action.

Proposition d’une échelle simple de candela

Se doter d’une boite à outils

Les contextes sont nombreux et variés. Le consultant, souple aux aléas et résistant au flou, dispose d’une boite à outil spécifique à sa pratique, afin de prendre l’instrument adapté aux circonstances, qui ne sont pas forcément connues au début.

Dans cet article, nous parlons des outils de l’architecte d’entreprise. L’idéal est de laisser l’expert utiliser l’équipement fait à sa main, pour maximiser la qualité de sa production.

Si accompagnés et accompagnants, ensemble nous acceptons le principe d’incertitude et le brouillard de guerre, alors nous établissons des attendus ancrés sur une combinaison d’objectifs et de moyens ajustables au fur et à mesure de l’avancement, des aléas et de l’exploration. Ainsi, nous activons le potentiel des bonnes pratiques, dans une relation gagnant/gagnant.

Conclusion

La posture de consultant ne convient pas à tout le monde. Avancer à tâtons provoque un inconfort rédhibitoire pour ceux qui préfèrent un cadre robuste et même une certaine routine. Tous les profils de tempérament sont utiles dans la réalisation des grands projets de transformation. La mixité est un levier de succès. C’est pourquoi être conscient des contraintes permet à chacun de faire un choix professionnel raisonné et de contribuer en actionnant un savoir-faire particulier.

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